REPORTAGE

A l’abandon, Brezovica veut devenir la station de ski la plus prisée des Balkans
Auteur
Antoine Harari
Journal
Le Matin Dimanche
Année
2016
Photographie
Samuel Fromhold

Un groupe français veut investir 400 millions d’euros et créer 7000 lits pour un domaine skiable d’une centaine de kilomètres et bien enneigé.

Située entre une cabine de téléphérique désaffectée et un hôtel qui a connu des jours meilleurs, une pancarte défraîchie vous souhaite la bienvenue à Brezovica. Dans un état de semi-abandon, cette petite station pourrait bien connaître une croissance fulgurante. Sur la demande du ministère du commerce et de l’industrie du Kosovo, le groupe français MDP Consulting a déposé un projet de rénovation à hauteur de 400 millions d’euros. Des chiffres qui donnent le tournis: 7000 lits, un domaine skiable d’une centaine de kilomètres face au trente actuels et près de 4000 emplois créés dans la foulée. Dans une région où le chômage atteint plus de 35% de la population, avec des perspectives économiques plutôt rares, cet investissement, le plus conséquent depuis la naissance du pays en 2008, a tout du cadeau tombé du ciel.

Pourtant, Igor Nikolcevic, propriétaire de la pizzeria Tina, le premier restaurant ouvert à Brezovica, a du mal à se réjouir. «J’habite ici avec ma femme depuis vingt-cinq ans. Si le projet se réalise, tout ce que mon grand-père a construit sera détruit», se lamente-t-il. Et pour cause, son chalet ainsi que l’entièreté du village se trouve sur la nouvelle aire d’arrivée des remontées mécaniques prévues par le projet. Assis sur une chaise de son restaurant, son regard balaie les photos de famille accrochées au mur. Il sait que cet été déjà, date des premiers travaux, tout pourrait disparaître.

Une station fantôme

Dehors, tout est calme et la station est déserte. Difficile d’imaginer que cet endroit puisse devenir le nouveau paradis des amateurs d’or blanc des Balkans. Sur les douze pistes disponibles, seules deux sont ouvertes. Les skieurs arrivent au compte-gouttes et plusieurs installations de télésiège, abandonnées depuis des années, rouillent au soleil. En théorie, le forfait journalier coûte 20 euros, mais le gardien fatigué, qui s’est improvisé caissier, se contente de 3,50 euros.

Idéalement située à une heure de l’aéroport de Pristina et de celui de Skopje et culminant à 2600 mètres d’altitude, Brezovicaa été conçue à l’origine comme une station de ski de remplacement pour les Jeux olympiques de 1984 à Sarajevo. Dotée d’un panorama à couper le souffle et surplombant le massif montagneux de Shor, la station a connu ses heures de gloire pendant la période yougoslave. Depuis, elle est peu à peu tombée dans l’oubli.

«De la propagande»

D’origine serbe comme la majorité des soixante-huit habitants à l’année de la station, Igor cultive une image d’ours sympathique. Il nous emmène voir Vanja, un professeur de génie civil à la retraite qui habite la station depuis les années 1970. Amer, le vieil homme reproche aux investisseurs de pratiquer la politique de la terre brûlée: «Les responsables du projet m’ont offert 74 000 euros pour mon chalet. Je serai prêt à le moderniser, mais ils veulent tout détruire.» Vêtu d’un pantalon militaire rapiécé, le retraité vocifère: «L’été dernier, les ambassadrices américaines et françaises sont venues présenter le projet la bouche en cœur. Elles nous l’ont vendu comme si toute la région allait en profiter. On se serait cru en pleine propagande communiste», ricane- t-il.

Pourtant, Anthony Jullien, directeur de projet pour l’agence de consulting française MDP, qui a signé un partenariat avec le gouvernement kosovar pour développer la station, y croit dur comme fer. Contacté par téléphone, il s’exclame: «Brezovicaest un site magnifique qui bénéficie d’un enneigement exceptionnel. Mais comme les remontées mécaniques n’ont jamais été entretenues, les maisons sont pleines d’amiante, il va falloir tout reconstruire de zéro.»

Première étape financée

Prudent, il confie avoir trouvé les investisseurs capables de réaliser la première phase du projet, sans toutefois en révéler leur identité. Prévu en trois phases, le projet dépendra de sa rentabilité économique: «Dans un premier temps nous visons un tourisme régional et nous comptons aussi beaucoup sur la diaspora albanaise à l’étranger.» Il avoue aussi que rassurer les investisseurs n’a pas toujours été facile. «Le problème, c’est l’image du Kosovo à l’international. Les gens ne l’associent pas encore au tourisme mais les choses changent petit à petit. Même le Routard prépare un guide pour l’année prochaine.»

A l’origine du projet, la ministre du Commerce et de l’Industrie Hykmete Bajrami partage l’enthousiasme d’Anthony Jullien: «Si le projet se concrétise, Brezovica offrira le meilleur rapport qualité-prix d’Europe. Nous espérons aussi que ce projet aidera à transformer l’image du Kosovo et en fera une destination de voyage connue dans le monde entier.»

Installés au soleil après une longue journée de ski, Borko et Neno sirotent une bière au café Ljuboten au milieu du village. Ces deux touristes macédoniens sont des clients réguliers de la station. Les jeunes snowboardeurs espèrent que le projet se réalisera au plus vite: «Il y a une grosse demande dans les Balkans nous attendons cela depuis trente ans, raconte Neno. Le ski était magique aujourd’hui, alors imaginez ce que ce sera avec trois fois plus de pistes!»